L’obligation de donner le code de déverrouillage de son téléphone aux enquêteurs validée par le Conseil constitutionnel.

17 mai 2018

XAVIER-ALEXANDRE HERNANDO, AVOCAT.
DC n°2018-696 QPC du 30 mars 2018

La décision du Conseil Constitutionnel est surprenante à bien des égards.

En premier lieu, elle dépasse les observations du représentant du Premier ministre, qui avait sollicité une réserve d’interprétation de cette disposition en excluant son application à la personne suspectée. De plus elle surpasse également les intentions du législateur, puisque selon les débats parlementaires ayant mené à l’adoption de cette disposition, cet article visait à ne punir que les tiers (créateurs de clé de cryptage, fournisseur d’accès mobile,…) et non les personnes faisant l’objet d’une enquête pénale.

En second lieu, elle porte atteinte à certains droits et libertés fondamentaux consacrés par le Constitution et notamment le droit au silence, le droit de ne pas s’auto-incriminer, ou encore le droit au respect de la vie privée.

La motivation de cette décision largement attentatoire aux libertés risque d’être à l’origine d’un nombre important de dérives qui seront, on l’espère, encadrées par les juges et par la pratique

La motivation d’une décision attentatoire aux libertés.

Le requérant alléguait la violation de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, protégeant le droit à une procédure juste et équitable, ainsi que l’article 9 protégeant la présomption d’innocence. Ce dernier article a pour corollaire important le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination.

Selon le requérant, le fait d’avoir été contraint de donner le code de son téléphone revenait à contribuer à sa propre incrimination et enfreignait donc son droit au silence.

Les risques inquiétants de dérives engendrés par cette décision.

Le Conseil constitutionnel a à de nombreuses reprise affirmé l’inconstitutionnalité de dispositions enfreignant de manière disproportionnée les droits et libertés fondamentaux au regard des objectifs poursuivis.

Ce n’est toutefois pas la voie choisie ici par le Conseil, qui a estimé que l’objectif de prévention et de répression des infractions justifiait l’atteinte à la présomption d’innocence et au droit à une procédure équitable de ces dispositions.

C’était pourtant ici l’occasion d’assortir sa déclaration de constitutionnalité d’une réserve d’interprétation en se référant aux travaux législatifs et à un précédent refus par les parlementaires de pénaliser le refus pour un suspect de donner lui-même le code de déverrouillage de son téléphone.

L’ atteinte au droit de ne pas s’auto-incriminer mais également à la vie privée semblent pourtant disproportionnée au regard du but poursuivi, d’autant que, jusque-là, certains services de police avaient recours à des experts afin de décrypter les données contenues sur des supports informatiques.

On peut d’ailleurs légitimement se poser la question de la nécessité de porter atteinte au droit de ne pas s’auto incriminer alors même que le recours à des experts pour « craquer » les téléphones demeure possible, sur simple réquisition d’un enquêteur ou d’un magistrat. Il est à craindre que des logiques purement budgétaires soient à l’origine d’une atteinte importante à un droit constitutionnellement protégé.

Les services d’enquête auront désormais la faculté de la menace de poursuites en cas de refus de fournir le code de son téléphone par la personne suspectée (voire de son ordinateur ou de son coffre-fort), et n’en déplaise au Conseil constitutionnel, il s’agit bien ici d’enfreindre le droit au silence de chaque individu, et de dévoiler ses informations les plus privées.

De plus le Conseil constitutionnel reste étonnamment silencieux sur l’un des arguments pourtant soulevés par le requérant selon lequel le code d’un téléphone ne serait aucunement un moyen de cryptologie. Cette question reste ainsi toujours en suspens et il reviendra à la chambre criminelle de se positionner sur cette question et de définir exactement ce qu’est un moyen de cryptologie au sens de la loi. Ainsi un mot de passe d’un compte Facebook ou WhatsApp pourrait-il également être considéré comme un moyen de cryptologie ?

Bien d’autres questions et incohérences restent en suspens.

N’est-il pas disproportionné qu’aucune distinction ne soient faite selon les crimes et délits suspectés ? On peut ainsi relever que dans certains cas (usage de stupéfiants notamment) l’infraction principale la plus sévèrement réprimée deviendra le refus de transmettre le code de téléphone aux enquêteurs.
De plus en cas de déverrouillage forcé du téléphone par un expert, en raison du refus de donner le code aux enquêteurs, l’infraction demeurera-t-elle constituée ?

Cette infraction, lorsqu’elle sera poursuivie en concours avec un délit originel, se verra-t-elle appliquer le régime du concours réel d’infractions ou bien un cumul de peines existera-t-il ? En effet pour des infractions de nature similaires supposant une volonté de se soustraire à l’autorité judiciaire, tel que le refus de se soumettre aux prélèvements ou bien encore l’évasion, les peines sont cumulées avec les infractions à l’origine de ces délits.

On ne peut qu’attendre avec une certaine hâte que ces questions et incohérences soient posées à la chambre criminelle de la Cour de cassation, voire à la Cour européenne des droits de l’homme.Celle-ci n’en serait pas à tancer pour la première fois la procédure pénale française si elle devait constater l’inconventionnalité de ces dispositions.

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